Le livre pour adolescents « Into The River » censuré en Nouvelle Zélande

C’est la première fois en vingt ans que la Nouvelle-Zélande prend une décision aussi radicale. Depuis le 3 septembre dernier, le livre pour adolescents Into the River de Ted Dawe est interdit à la vente. L’oeuvre saluée par la critique et primée aux Children’s Book Award a soulevé de nombreuses protestations de la part de l’association chrétienne Family First. Face à la pression de plus en plus persistante du groupe conservateur, le Film and Literature Bord of Review (FLBR – organisme fixant des restrictions sur les livres et les films) a pris la décision de bannir temporairement le livre des librairies, bibliothèques, magasins, et écoles de tout le pays.

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Publié en 2012, Into The River raconte le parcours initiatique d’un jeune Maori qui obtient une bourse pour une école huppée d’Auckland. Alors qu’il y découvre le racisme, la violence, la drogue et le sexe, il est également tiraillé entre sa nouvelle vie et ses racines. Primé à plusieurs reprises, le livre de Ted Dawe a beaucoup fait parler de lui parce qu’il vise un public masculin, ce qui est très rare dans la littérature pour adolescents. « J’ai enseigné au lycée ces quarante dernières années. Pendant tout ce temps, j’ai encouragé les garçons à lire. Mais le challenge était de trouver des livres qui leur parlaient

C’est-à-dire des livres qui parlent de problèmes qui les touchent et écrits dans un style authentique », confiait ainsi récemment l’auteur au Guardian.

Dawe, Ted

Face à l’absence d’oeuvres littéraires pertinentes, Ted Dawe s’est donc attelé lui-même à l’écriture d’un livre qui pourrait toucher les adolescents et les jeunes adultes. Dans Into The River les scènes de sexe et de violence sont détaillées de manière assez explicite et le langage est parfois cru, mais c’est justement cette écriture authentique que recherchait l’auteur qui plaît tant aux lecteurs. L’auteur analyse : « Les jeunes adultes rencontrent des problèmes dont ils n’ont pas envie de parler avec les autres. Ils veulent analyser ça tout seul. Et pour ça, il n’y a pas mieux que ce livre. Dans ce contexte sans danger, l’adolescent peut naviguer entre divers questions sur la race, l’orientation sexuelle, le rapport à son corps, la discrimination de classe, ou encore le harcèlement. Il peut ensuite se mettre en rapport avec les personnages, calibrer les différences entre eux sans avoir besoin d’en discuter avec quiconque ».

« Vais-je finir sur le bûcher ? »

Dans un entretien accordé au New Zealand Herald , Ted Dawe s’est dit « abasourdi » par cette décision. Surtout, il se demande si le bannissement de son livre ne marque pas le début d’une censure à plus grande échelle : « J’ai reçu beaucoup d’emails de la part de personnes qui sont autant outragées que moi. Vivons-nous vraiment dans un pays où les livres peuvent être bannis ? Et après ? Vais-je finir sur le bûcher ? » Selon lui, Bob McCoskrie et Dr Mathieson, les directeurs de l’association conservatrice Family First ont outrepassé les règles qui font d’une société qu’elle est démocratique :

« Ces deux individus sont unis dans leur détermination commune pour faire de cette interdiction un exemple, une ligne qu’il ne faut pas franchir. J’ai l’impression qu’ils ont complètement outre passé tout le mécanisme qui fait une oeuvre et ont imposé leur jugement dessus. La Nouvelle-Zélande vient de faire un pas de géant en arrière en acceptant cette sorte de réglementation moraliste que nous pensions avoir laissé derrière nous depuis bien longtemps ».

Une interdiction pour éviter de parler des sujets qui fâchent

Joanna Matthew, directrice de la Librairies Association de Nouvelle-Zélande abonde dans le sens de l’auteur. Elle explique ainsi que le roman graphique britannique Lost Girls vient d’être interdit au moins de 18 ans dans son pays parce qu’il inclut des images à caractère sexuel. Évidemment, elle est donc très inquiète et voit le scandale qui entoure Into The River comme « une tragédie ». « Si nous censurons la littérature qui parle avec franchise de certains problèmes, alors je pense que nous prenons le risque d’enterrer ces livres. Notre société serait plus efficace si nous traitions les problèmes qui sont mis en lumière dans ce livre plutôt que de l’interdire », estime-t-elle.

Pour le moment, le FLBR n’a interdit que temporairement la circulation du livre. En attendant qu’une décision définitive soit prise dans les prochaines semaines, les Néo-Zélandais vivent sous la menace de lourdes amendes. Un particulier qui choisirait de revendre l’ouvrage s’expose à 3 000 dollars néo-zélandais (1 680 euros) d’amende, tandis qu’un libraire pourrait être condamné à verser 10 000 dollars (5 600 euros). Jusqu’à présent disponible sur Amazon en ebook, Into The River a finalement été retiré sous tous les formats.


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