Seb The Fonk, entretien avec un photographe voyageur

Il nous est toujours paru nécessaire de questionner par des interviews les photographes non renommés, passionnés, mais partageant leur vies avec des obligations. Il est parfois difficile de choisir celui ou celle à qui donner la parole tant ils sont de plus en plus nombreux.

Pour choisir, il nous a suffi  de suivre notre instinct…

Seb The Fonk nous présente sa version de la vie à travers la photographie : une photographie de juxtaposition, de mélanges visuels.

Moving Tahiti : Ia ora na Seb, peux-tu te présenter ?

Je suis Seb, dit The Fonk, arrivé depuis 5 ans à Tahiti. Globetrotter dans l’âme. La photographie n’est pas mon métier, mais simplement une passion. De cette même passion qui m’anime pour les voyages. Mon surnom vient de la Funk music, prononcée à la française, « fonk », car je faisais de la guitare dans un tel groupe.

Es-tu  un autodidacte, comment as-tu réussi à apprendre les ficelles de ce métier ?

Oui, je suis autodidacte : j’apprends en faisant. Bien sûr, c’est plus long et hasardeux, mais c’est aussi plus personnel et plus excitant. C’est un peu l’objet de ma page de photographie : le fait de mettre une photo en ligne par jour m’oblige (mais je le veux bien hein !) à produire et à confronter mon travail à l’œil des gens.

Depuis combien de temps fais-tu de la photographie ?

Ce goût pour la photo est né du voyage : figer sur le papier les gens et les ambiances d’un pays est pour moi quelque chose de fort. J’ai commencé en argentique, il y a 10 ans. J’ai gardé de cela la parcimonie : je ne mitraille pas, comme certains. Pour moi, le plaisir et l’émotion naissent de l’instant de la prise de vue, de l’instant figé. Le numérique permet certes de mitrailler, de prendre des milliers de photos pour n’en choisir que quelques-unes, mais je préfère sélectionner sur le vif, sur le moment, ce que je vais prendre plutôt qu’après coup. La satisfaction d’obtenir une jolie photo est multipliée si elle fait écho à un souvenir précis, à un choix conscient dicté par l’instinct, à une émotion née de l’instant décisif, plutôt qu’à un geste mécanique ou le fruit du hasard.

Quelles sont tes références ? (les photographes qui t’ont inspiré)

J’admire de nombreux maîtres de la photographie. Le monde contemporain regorge de photographes de génie ! Il suffit de voir les palmarès de National Geographic ou de 500px. Mais parmi eux ou plutôt avant eux, il y a quelques fondateurs. Henri Cartier-Bresson, photographe français de la mythique agence Magnum, est de ceux qui ont un sens de la poésie incroyable. Chaque photo est à la fois graphique et émouvante. Dans ses reportages de rue comme dans ses contemplations, il met en scène l’humain dans un cadre très graphique. Ensuite, le photographe brésilien Sebastião Salgado : ses photographies, dures et fortes, sont des images spectaculaires, au sens où elles nous sautent aux yeux, comme si elles étaient dotées de relief et de mouvement. Je suis impressionné par leur puissance. Chaque cliché est pensée et travaillée comme une peinture dramatique. Enfin, pour n’en citer qu’un troisième, je dirais James Nachtwey. J’ai été marqué par ses reportages de guerre. C’est quelqu’un qui a pris des risques pour témoigner de l’enfer de la guerre et de la souffrance des hommes, tout en gardant un sens photographique très poussé. Je lui voue un immense respect.

Quelle place prend la mise en scène et comment procèdes-tu ?

J’aime la photographie de voyage et je laisse la plus grande part à l’humain. Mais on ne peut pas voyager tout le temps ! (snif..). C’est pourquoi je cherche à créer les conditions du voyage en faisant des mises en scène, en créant des ambiances qui pourraient nous sortir du quotidien. Mais prendre une photo sur le vif ou créer une image par une mise en scène sont deux choses complétement différentes. Là-encore, j’apprends en faisant. Je ne fais pas des mises en scène très sophistiquées, mais j’aime créer des ambiances particulières, et surtout, changer d’ambiance et de concept d’une photo à l’autre. J’essaie de ne jamais refaire ce que j’ai déjà fait, à tort ou à raison. Cela rend l’exercice beaucoup plus stimulant et, je l’espère, le résultat plus intéressant et neuf pour le spectateur. Par choix autant que par contrainte, je réalise la plupart de mes shootings en lumière naturelle. J’aime cette contrainte et la contrainte en général, je trouve cela stimulant, créatif. Dites à quelqu’un : « écris moi un poème » et il restera sec. Mais dites-lui « écris-moi un poème qui finit par « le roi est mort » et il lui viendra des idées plein la tête !… La contrainte pousse ainsi à la créativité.

C’est sur le jeu de la lumière et le détournement du lieu de shooting que se créent les ambiances. Ensuite, je prends mon temps avec le modèle et, dans un climat de connivence, je cherche à faire disparaître l’objectif photographique pour que puisse apparaître l’émotion. Les poses ne doivent pas être figées. Pour moi, si une pose n’est pas crédible car pas naturelle au vu du contexte posé, alors c’est raté. Par exemple, on ne fait pas faire un grand écart à une modèle devant une voiture de sport, cela n’a aucun sens ! Chaque élément doit avoir une raison d’être. En revanche, si l’ambiance se veut surréaliste, on peut détourner un objet du réel et interagir avec lui comme si c’était normal…

Comment choisis-tu tes modèles ou tes paysages ?

Là encore, j’essaie de trouver des visages ou des regards qui m’inspirent quelque chose de nouveau, que ce soit dans l’émotion ou dans l’esthétique. La plupart du temps, il s’agit de modèles femmes. D’une part, la beauté féminine est sans limite, d’autre part, les femmes se prêtent davantage au jeu de la pose que les hommes. De nombreux shootings avec des hommes ont avorté : certains n’assument pas, peut-être. C’est pourquoi pour les hommes il me faut proposer des concepts plus complets, avec davantage un rôle à jouer, plutôt qu’un shooting improvisé. Mais j’ai plusieurs projets en cours avec des modèles masculins. A suivre…!

Quelles sont les émotions que tu essayes de faire passer ?

Elles sont diverses. Je ne cherche pas une émotion en particulier. Il faut qu’elle colle avec l’ambiance et l’idée de la photo. C’est le but ultime pour moi : dégager de chaque photo une émotion, que ce soit l’émotion du modèle ou du personnage figuré, autant que l’émotion de la personne qui va regarder l’image.

J’aime que surgisse d’une image un élément qui soit inhabituel ou poétique, un petit quelque chose qui donne à la photo un côté surréaliste. Par exemple, dans le titre « surré-elles » que j’ai donné à ce PortFolio pour Moving Tahiti, il y a l’idée de l’intrusion du surnaturel dans le réel et l’envie de représenter une vision romanesque de ces femmes. D’ailleurs, mes titres font partie intégrante des photos. J’y accorde beaucoup d’importance. Par exemple, si je fais une photo d’un éléphant bleu et rose, je ne vais pas écrire « Eléphant » comme titre, mais plutôt « LSD »… Le titre peut être une surprise ou une référence. Dans tous les cas, il cherche à prolonger la photo avec une idée ou une sensation.

Peux-tu développer ta définition du « Beau » ?

Je n’ai pas de définition du beau. C’est une notion infiniment relative. Je ne cherche pas le beau à tout prix car je sais que cela n’a pas de sens. Je cherche l’émotion et je cherche le renouveau.

Tes sources de satisfaction dans ton travail de photographe ?

La photo est en elle-même une source de satisfaction, au moment même où elle nait au moment où j’appuie sur le déclencheur. Par ailleurs, j’essaie d’éviter de regarder trop les « likes » qu’obtient une photo. Ce n’est pas le reflet de sa qualité mais plutôt de la popularité d’un modèle ou d’un thème (une femme dénudée aura toujours plus de likes qu’un tronc d’arbre). En revanche, les commentaires qui me sont adressés personnellement me touchent.

Quelle place tient le matériel dans tes photographies ? Que possèdes-tu ?

Le matériel tient une place minime. Je ne suis pas de ceux qui connaissent toutes les spécifications techniques de tous les appareils. Pour moi, tout ceci est totalement secondaire. J’ai un boitier reflex semi-pro Canon 5DII et quelques objectifs. Je demande rarement l’aide d’un assistant qui tiendrait un réflecteur ou autre accessoire, car d’une part je préfère jouer entièrement avec la lumière naturelle et d’autre part je trouve ça gênant de demander un tel travail, aussi rébarbatif, à quelqu’un !

Comment choisis tu les lieux ?  Quels lieux que tu as utilisés t’ont laissé les plus fortes impressions ?

Les lieux sont choisis en fonction du thème et de l’ambiance que je souhaite donner au shooting. Parfois, le lieu est un personnage à part entière. Par exemple le phare de la pointe Vénus m’a fait penser au roman Shutter Island. Personne ne le voit comme ça, mais il peut avoir un côté surréaliste, voire inquiétant avec une certaine lumière et un ciel plombé ; on peut imaginer toute une histoire autour…

Quels lieux te font rêver? Si dans l’absolu tu pouvais y shooter…

J’aime les ruines, les lieux qui ont une splendeur passée. J’aimerais beaucoup pouvoir entrer pour cela dans les hôtels désaffectés (Hilton, Tahaara…) ou dans une grande bâtisse, un entrepôt, une usine.

Dans quelle direction souhaites tu évoluer en terme de photographie ?

J’espère progresser et aller plus loin dans la mise en scène surréaliste. Collaborer avec d’autres artistes (dessinateurs, danseurs) pour croiser les impressions. J’espère aussi pouvoir faire des reportages de voyage intenses, avec des rencontres fortes, des visages marquants. Devenir un vrai portraitiste. Le côté commercial de la photographie ne m’intéresse pas vraiment.

Et enfin, quels conseils pourrais-tu donner à quelqu’un qui voudrait réussir ses photos ?

Je suis mal placé pour donner des conseils, mais bon, pour un débutant, je lui dirais : « sois original et créatif. Tente des choses. Oublie la technique une fois que tu maîtrises les bases, pour te concentrer sur la composition, la lumière, l’émotion ».

Questions de fin d’interview :

Ton passe-temps favori ?

En dehors de la photo, la guitare avec mon groupe WATT.

Ton look de tous les jours ?

Euh… Je dirais… Chemise, jeans, urban wear.

Quel est l’objet que tu mets dans ton sac tous les jours ?

Je n’ai pas de sac de tous les jours ! Voyageons légers.

Quelle est la question que nous oublions de te poser ?

As-tu écouté le dernier Major Lazer ?


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