Bobby, L’enchanteur du Pacifique – Bruno Saura, Dorothy Levy, préface de Marcel Rufo
Aux éditions Aux vents des iles.
3e trimestre 2013 – 376 pages
Les deux auteurs – proches de Bobby Holcomb durant son aventure polynésienne – se prêtent à un exercice complexe de biographie, rétrospective à la fois personnelle et artistique, qui met en lumière l’engagement de l’artiste sur le plan culturel et social polynésien. Principalement sous la forme d’échanges et d’entretiens relatant des anecdotes de la vie de l’artiste, les auteurs nous font également (re)découvrir la polyvalence de ses compétences artistique (paroles, peinture, personnalité publique), son empathie et la profondeur de son message. Ils présentent un travail novateur concernant le cheminement de l’artiste pendant son aventure polynésienne, de 1976 à 1991. Mais l’ouvrage va plus loin, en introduisant le personnage de Bobby depuis son enfance, retraçant ainsi un parcours moins connu de l’artiste polyvalent qu’il deviendra une fois en Polynésie. L’angle de vue s’élargie et s’enrichie d’autant plus qu’ils nous présentent également les étapes clés qui ont jalonnées la vie de Bobby avant d’arriver en Polynésie.
D’abord fa’a’amu – élevé – par ses grands parents maternels jusqu’à l’âge de 5 ans sur Big Island, Hawai’i, le jeune Bobby rejoint ensuite sa mère d’originaire portugaise à Honolulu. Enfant des ghettos hawaïens, il grandit dans la simplicité et se débrouille d’un minimum. Du fait d’une mère absente, il devient vite autonome et débrouillard, curieux et avide de culture sous toutes ses formes.
A l’âge de 11 ans, il est placé en foyer puis en famille d’accueil à Los Angeles. Soutenu par sa famille d’accueil, il pourra enfin s’exprimer artistiquement et développer librement ses talents. Durant 6 ans, il fréquente l’American School of Dance, où il s’initie à plusieurs genres de danse, au théâtre et à la comédie musicale. Son implication et ses aptitudes innées le poussent rapidement à vouloir se réaliser en tant qu’artiste engagé, grande décision qui sonne le début d’un nouveau virage dans sa vie.
Après avoir voyagé en passant d’un job à un autre, entre Los Angeles et New York, Bobby débarque à San Francisco en 1966, où il fera la connaissance de Simon Henderson, son grand compagnon d’aventures pour les dix années à venir. Bobby collaborera comme dessinateur et graphiste dans une revue aux tendances hippies cultes, San Francisco Oracle, dont les esquisses et dessins anticipent le style des peintures polynésiennes qui suivront plus tard. Il s’essaie également à une forme de stylisme minimaliste : pièces en cuir assemblées et décorées.
Au début des années 1970, Bobby, Simon et un ami décident de s’exiler en France. C’est à Paris, dans un contexte socio-culturel encore très marqué des évènements de mai 1968, qu’ils découvrent un univers artistique éclectique. Ils se familiarisent tantôt avec la vie de château, tantôt avec la vie campagnarde et rupestre « à la française » et fréquentent des artistes et musiciens de tout genre, en parcourant la France de Paris à Saint-Tropez. A l’occasion d’un arrêt de quelques mois à Paris, Bobby et son ami Simon se font rapidement introduire dans « la cour » de l’excentrique et avant-gardiste Salvador Dali – dans sa suite de l’hôtel Meurice – à qui ils présentent la sulfureuse troupe de danse new-yorkaise interprétant la comédie musicale Hair.
S’en suivent quelques voyages dans le pourtour méditerranéen : Italie, Sicile, Maroc, désert du Sahara… Jusqu’à Venise, lors de la biennale de 1973, où ils intègrent la troupe du Living Theater. Puis les aventures se poursuivent plus loin encore : Egypte, Moyen-Orient, Inde, jusqu’à s’installer temporairement l’île grecque d’Ios. C’est là qu’ils rencontrent Kim Dios, dit Kimi, qui se joindra au duo pour le reste de leur périple oriental. Alors que Simon rentre aux Etats-Unis ; Bobby et Kimi passent 2 mois à Goa en Inde. Puis Bobby se retrouve seul, et continu jusqu’aux limites du Cachemire, au Pakistan.
A partir de l’été 1975, le trio se reforme en Suisse. Bobby, Kimi et Simon repartent sillonner l’Europe, notamment Paris. Ils ne tarderont pas à faire la connaissance de Vaea Sylvain, artiste chanteuse, danseuse et peintre, qui ne manquera pas de créer un « effet d’appel » polynésien.
En février 1976, le trio embarque sur un navire de transport de passagers : un voyage de six semaines, rythmé d’escales internationales, à destination finale en Polynésie Française. Au cours de ce voyage, ils rencontrent le peintre Ravello et sa compagne de l’époque, Sylvie Couraud. En mars 1976, ils posent leurs valises sur l’île de Huahine, et s’installent dans le village de Maeva.L’intégration par la population locale est immédiate, ce qui touche profondément Bobby, et l’incite à redoubler d’intérêt pour apprendre de cette culture (la langue, l’histoire, les légendes, l’artisanat…). C’est ainsi que Bobby jouera un rôle proéminent dans le renouveau culturel polynésien. Rapidement, il intègre la troupe de théâtre du Pupu’arioi en tant que metteur en scène, costumier et créateur des décors pour la pièce Aai no Ariipaea hoe arii vahine no Huahine (Histoire de Madame Ariipaea, une reine de Huahine). Une seconde pièce, Pipirima, mêlant théâtre, chants et danses, revisite une légende traditionnelle, où les enfants occupent une place centrale. En 1981, il participe comme metteur en scène et costumier à la reconstitution historique et artistique d’un spectacle au marae Arahurahu. A cette même période, le renouveau culturel polynésien marque un tournant important : la réappropriation des techniques et du port du tatau traditionnel, le tatouage. Bobby fréquente artistes et tatoueurs, pour qui il prête volontiers son corps comme support d’expression. Jusqu’alors, il n’a cessé de peintre et de dessiner, sur fond de métissage culturel : les légendes, la mythologie polynésienne, les divinités ancestrales et les collaborations artistiques de Bobby l’inspirent dans la réalisation de ses peintures, aux couleurs saisissantes et hautement symboliques.
Mais c’est en 1982 que la carrière de Bobby est marquée par un tournant inédit : l’immense succès populaire qu’il rencontre comme auteur et compositeur. Après avoir remporté un concours de chants en 1982, il entame une brillante carrière de chanteur et compositeur, il chante et se produit notamment en tahitien, enchante par sa grâce et éblouit par sa connivence avec le public… Mais ça, c’est une histoire que nous connaissons déjà bien mieux !
Outre la préface intelligemment rédigée par Marcel Rufo – où se mêlent références littéraires et artistiques au personnage même de Bobby -, le reste de l’ouvrage est principalement articulé autour d’échanges et d’entretiens, de témoignages et de références variées qui retracent le parcours de Bobby. Des paroles de ses plus fameuses chansons polynésiennes à ses peintures, en passant par des images d’archives et photos personnelles. Un bel ouvrage, sensible et nostalgique, à propos d’un artiste intemporel et atypique dans le Pacifique.
Bobby est sans aucun doute un personnage poignant et captivant : des fragilités de son enfance à la force de son combat d’adulte, il devient un artiste aux multiples facettes et talents (chant, danse, théâtre, designer, peintre, musicien…). La place qu’occupe la religion – catholique – aux yeux de Bobby est indissociable de ses actions, tout particulièrement dans ses engagements polynésiens, où il œuvre avec tant d’autres à concilier l’héritage ma’ohi traditionnel et ancestral avec les valeurs chrétiennes. C’est avec humilité qu’il entreprend alors de répandre le alofa – bonté, compassion et amour – à travers ses œuvres, ses actes et ses engagements. Et en tout état de cause, son empreinte perdure, tel un hymne à la beauté, qui marque aujourd’hui encore les mémoires et suscite l’intérêt des jeunes générations.
Pour prolonger la (re)découverte de Bobby, découvrez l’exposition de J. Mencarelli intitulée «Tribute to Bobby» à la Galerie Winkler, du jeudi 7 mai au mardi 19 mai 2015. Une série de sculptures éblouissantes, inspirées des peintures de Bobby.
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