Sicario, l’enfer des cartels

Avec son atmosphère suffocante et racée, Sicario réinvente le thriller mental avec maestria. Attention, car le meilleur film de Denis Villeneuve peut en cacher un autre…

L’argument : La zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique est devenue un territoire de non-droit. Kate, une jeune recrue idéaliste du FBI, y est enrôlée pour aider un groupe d’intervention d’élite dirigé par un agent du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogues. Menée par un consultant énigmatique l’équipe se lance dans un périple clandestin, obligeant Kate à remettre en question ses convictions pour pouvoir survivre.

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Insaisissable Denis Villeneuve. ­Depuis cinq ans, le réalisateur canadien n’est jamais là où on l’attend. Après avoir exploré la quête des origines ainsi que le conflit entre chrétiens et musulmans au Moyen-Orient dans ­Incendies (2010), s’être essayé au film de tueur en série avec ­Prisoners (2013) et signé un drame intimiste sur l’identité avec Enemy (2013), il s’aventure à la frontière entre les États-Unis et le Mexique dans Sicario, l’initiation d’une recrue du FBI aux exactions perpétrées par les puissants cartels de drogue dans une région de non-droit.

« Je passe d’un extrême à l’autre mais j’ai tout de même l’impression de traiter des thèmes dangereusement similaires, toujours à portée politique : le cycle de la violence et la manière dont on s’y embourbe une fois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage, l’inutilité de la vengeance, les zones d’ombre de la société américaine. J’éprouve le désir permanent de me réinventer, de m’aventurer dans chaque genre et pourtant j’ai le sentiment que toutes mes histoires se ressemblent! »

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« Il faut prendre très au sérieux la menace »

Ces dernières années, plusieurs longs métrages ont rendu compte de la situation au Mexique, un pays soumis à un régime de terreur. Miss Bala (2011), de Gerardo Naranjo, montrait comment une candidate à un concours de beauté était kidnappée et enrôlée de force par un gang. Avec Cartel (2013), Ridley Scott étudiait le mode de fonctionnement des narcotrafiquants, qui multiplient les exécutions sommaires. Dans Heli (2014), Amat ­Escalante, prix de la mise en scène à Cannes, dénonçait la précarité qui asservit la population.

« Celui-là, je l’ai adoré, admet Denis Villeneuve. On n’apprend rien de plus sur les cartels de drogue dans Sicario, ils sont juste là en toile de fond. L’action aurait pu se dérouler en Afrique car le débat reste le même. Je pose des questions sur le monde d’aujourd’hui. Ce qui se produit au Mexique est impressionnant, il s’agit d’un avertissement pour notre futur. Il faut prendre très au sérieux la menace. »

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Et le cinéaste québécois de préciser ce qu’il a constaté sur place lors des repérages.

« Là-bas, Mad Max n’est pas une fiction. Les institutions se sont désagrégées, les citoyens ont perdu confiance, les organisations criminelles ont la mainmise sur les autorités. Pour autant, personne ne se lève pour dire stop. La violence qui règne n’est ni nommée ni disséquée. Il y a une omerta, ces problèmes paraissent tellement loin de nos préoccupations. Alors qu’ils se trouvent à quelques mètres. »

Denis Villeneuve s’est rendu à Ciudad Juárez, où des milliers de femmes ont disparu dans l’indifférence générale. Pour observer l’architecture, s’imprégner de l’atmosphère et reproduire avec exactitude cet environnement ailleurs. Car impossible, en effet, d’y emmener son équipe, c’était bien trop risqué. Il s’est donc installé à Mexico sous la protection de la police.

« Il n’y a eu aucun incident. » Son mot d’ordre, l’authenticité. « Je ne me voile pas la face, je suis cash. Et Taylor Sheridan, mon scénariste, avait fait ses devoirs. »

Il s’essayera bientôt à la science-fiction

Venant du Texas, ce dernier s’est entretenu avec des journalistes et des agents du FBI, de la CIA, de la DEA (Drug Enforcement Administration). « Il a même consulté l’armée. Je préserve la précision et l’exactitude des faits. J’ai commencé ma carrière comme documentariste, mon objectif consiste à rendre compte d’une réalité. L’impact est toujours plus fort que si l’on tend vers le spectacle. » Denis ­Villeneuve entend créer le vertige avec le personnage principal, contraint d’enfreindre les règles pour survivre.

« La tentation de faire les choses autrement, le fantasme de franchir la limite. Les résultats se font attendre quand on respecte la loi. Voyez l’État islamique. De toute évidence, ses dirigeants sont fous. Le dialogue est impossible. Faut-il devenir comme eux, en répondant par la violence pour les arrêter? La radicalisation est une conséquence de la répartition inégale des richesses sur la planète et la haine vient de l’humiliation répétée des populations à travers le temps. » Le réalisateur s’autorisera bientôt une bouffée d’air frais. « Pour mettre en scène la suite de Blade Runner. Mes premiers pas dans la science-fiction! »


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